Brigitte Colette
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Amran : hôpital-modèle :(décembre 1997)

mercredi 29 octobre 2008, par bcolettelancette

"Amran : hôpital modèle"

Hôpital d’Amran, 31 décembre 1997. Premier jour du ramadan, une foule importante se presse à l’entrée de l’hôpital : deux familles d’un village voisin se sont entretuées durant la nuit, règlement de comptes à coup de jambiya et de kalachnikov : résultat trois morts, cinq blessés dont deux sérieusement atteints.

ALLAH AVANT ESCULAPE

Ute est allemande, médecin dans cet hôpital depuis plus de deux ans. Elle travaille dans un service de développement qui agit également au niveau de l’agriculture et de l’habitat. Son travail consiste essentiellement à former, à conseiller les médecins yéménites, à les responsabiliser et à les soutenir. Elle ne commence donc jamais les consultations sans la présence de l’un d’entre eux. 70 lits, 10 médecins hommes formés pour la plupart en Russie ; ils parlent peu d’anglais. Le niveau dans l’ensemble est assez faible. Dans l’entrée, première surprise, assis à même le sol, alignées, une dizaine de priants lisent des versets du Coran. Ute m’explique que c’est la première source de guérison, la plupart des maux ayant des causes surnaturelles, le mauvais œil. La médecine, ça vient après. Cet hôpital gouvernemental a peu de moyens financiers, le budget alloué est léger, la santé n’étant pas la priorité de l’état : « Tout est entre les mains de Dieu ».

En période de ramadan, le gouvernement impose des horaires de travail différents : de 11 à 15 h au lieu de 8 à 14 h habituellement. Deuxième surprise, sur les 11 médecins censés respecter l’horaire du ramadan, 2 affichent présents ce matin-là. Les autres viendront plus tard et resteront même une bonne partie de la nuit à bavarder, « qâter », et éventuellement… soigner. Ils font leur propre horaire, c’est comme ça ! « On ne peut travailler ici avec nos critères occidentaux » me dit Ute. « Je dois faire l’impasse sur beaucoup de mes principes, de mes croyances, sinon, je ne serais pas restée plus d’un mois. J’ai travaillé au Pakistan, en Iran, en Inde, le Yémen est de loin le pays le plus insolite, le plus difficile que j’ai connu. Il n’y a rien de comparable ailleurs.

SECTION DES ENFANTS

Avec un des deux médecins yéménites présents, nous abordons la première section, celle des enfants. Pendant l’hospitalisation de l’enfant, la mère reste auprès de lui, c’est-à-dire collée à lui dans le même petit lit-cage à barreaux. L’état de santé des enfants est lié aux conditions climatiques caractérisées par de gros écarts de température entre le jour et la nuit. Ils ne sont pas assez couverts, d’où problèmes respiratoires, bronchites à répétitions, toux, maux de ventre et parasites intestinaux. A cela s’ajoutent des conditions d’hygiène déplorables et une nourriture de plus en plus fabriquée industriellement au détriment de produits plus complets consommés auparavant. Je remarque aussi que les « jolis » sacs en plastique multicolores sont utilisés ici comme culotte que l’on bourre de tissus en guise de couche.

PERFUSION SANS PERFUSE

Nous abordons ensuite la salle des hommes, mais problème pour Ute qui doit trouver un autre médecin yéménite. Le premier s’estime trop fatigué, ramadan oblige, mais « untel » devrait prendre la relève ; nous arpentons les couloirs de l’hôpital à sa recherche et le découvrons affalé, le Coran à la main. Les visites peuvent continuer.

La section des hommes : le lieu le plus sordide. La plupart des lits menacent de s’écrouler. Les hommes sont enroulés dans une couverture d’une propreté plus que douteuse. Beaucoup sont atteints de malaria, ce qui est exceptionnel en cette saison Un seau jaune crasseux est au pied de chaque lit. Une odeur âcre règne dans la salle.

Soudain, quelques enfants, pieds nus, font irruption dans la pièce. L’hôpital est aussi un lieu de promenade pour les gamins de la rue. Ute doit se fâcher pour les mettre dehors. Un chat s’aventure aussi. Une femme vient balayer les nombreux détritus qui jonchent le sol. Un homme aurait dû être perfusé le matin même, mais le travail n’a pas été fait, et personne ne sait à quel patient appartient cette perfusion qui se balade au milieu de la pièce…C’est ramadan, Inch Allah, le sourire est sur toutes les lèvres. Même les malades ne se plaignent pas.

Les médicaments, vendus à l’unité, sont en partie payés par la famille du patient. Les prix subventionnés par divers organismes, sont modiques. Ute n’a pas de feuilles de prescription, elle utilise le dos de papier machine déjà imprimé en allemand qu’elle découpe en petits morceaux.

AMULETTE ET THERMOMETRE AUX VERTUS THERAPEUTIQUES

La section des femmes est un peu plus accueillante, quelques fleurs égayent l’endroit. Ici malaria, pleurésie, et tuberculose sévissent comme chez nous il y a cinquante ans. Une femme souffrant de malaria est avec son bébé. Elle continue de le nourrir, mais en raison du ramadan, refuse de prendre son traitement. Jusqu’à l’âge de 9 mois, les enfants sont ficelés dans des langes. Ils sont immobilisés, les bras le long du corps et emballés de la tête aux pieds. Ils portent des amulettes autour du cou. Une autre mère, atteinte également de malaria, est enceinte de 5 mois. Elle est accompagnée d’un autre bébé qu’elle ne peut donc pas nourrir. Ce bébé est alimenté de thé et de café.

SALLE DES URGENCES

Ute m’explique que ce sont les paramédicaux qui soignent les plaies. Les médecins se contentent de donner des ordres mais ne touchent pas le corps, c’est comme ça. Ces mêmes médecins distribuent facilement des médicaments, sans vraie consultation, dans les couloirs de l’hôpital qui sont étonnamment vides en période de ramadan. L’hôpital s’animera cependant le jour du souk hebdomadaire, chacun profitant du déplacement pour venir consulter. Pour être crédible, le médecin doit prescrire au moins 4 médicaments et une piqûre. Il doit également utiliser le stéthoscope et le thermomètre qui passent pour avoir des vertus thérapeutiques, mêlant ainsi anciennes croyances et médecine moderne.

LE MEILLEUR HÔPITAL DU PAYS

La salle des accouchements est aussi sordide, il n’y a personne. La plupart des femmes accouchent chez elles et ne viennent à l’hôpital qu’en cas d’extrême urgence. Les lits sont maculés de sang, des chats s’y reposent. Quand une femme accouche à l’hôpital, elle ose à peine se découvrir, le travail est extrêmement compliqué, les blocages culturels sont importants. Il est demandé à la mère de rester au moins deux heures à l’hôpital après l’accouchement : ce délai n’est jamais respecté. Dans ces conditions, le taux de mortalité infantile est évidemment effrayant. Quand on demande à une femme combien elle a d’enfants, elle répond toujours par le nombre de vivants et de morts. Le Yémen a le taux de fécondité le plus élevé : 6,5 par femme.

Dernière étape, trouver du sang : il y a bien quelques réserves mais insuffisantes. Le sang est une précieuse force de vie pour le Yéménite, il rechigne à le donner hormis pour ses proches. Un paravent à orifice se trouve dans la salle afin que le prélèvement soit dérobé à sa vue. Le sang n’est pas testé, or des cas de sida existent dans le sud du pays qui accueille une forte immigration somalienne. Et pour terminer, l’appareil de radiologie en panne n’a toujours pas été réparé.

Une précision : Amran compterait parmi les meilleurs hôpitaux du pays.

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